« Ça va être dur, surtout pour les jeunes fans, mais il va falloir interrompre la séance d’autographes. » Dominique Lebrun a encore en tête les deux heures trente de photos et de signatures à Angers (Maine-et-Loire). Ses deux fils Félix et Alexis, étoiles montantes du tennis de table mondial, respectivement aux 6e et 21e places au classement (au 26 février 2024) à seulement 17 ans et 20 ans, avaient assuré le show et remporté le match 3-0.
Du jamais-vu non plus dans la halle Pablo-Neruda, à Nîmes (Gard), en cette soirée du mardi 6 février. Cette fois, l’Alliance Nîmes-Montpellier affronte le club breton de Hennebont et l’emporte 3-1. Environ 900 personnes sont venues supporter les joueurs au maillot rouge.
« C’est l’effet team Lebrun » selon la présidente du club montpelliérain, Claire Chevassus-Rosset, qui les suit depuis leurs premières balles en « baby-ping ». Leurs qualités communes, selon elle : « La volonté, la simplicité et une famille extraordinaire. »
Carrière fulgurante
Car la « team » n’est pas que sportive. Elle est avant tout familiale. À l’origine, il y a Stéphane Lebrun, le papa, et Christophe Legoux, le frère de Dominique, tous deux ayant eu une belle carrière nationale et internationale. Stéphane, ancien 7e joueur français, a transmis le goût du sport à ses deux petits derniers, Alexis et Félix, qui toucheront d’abord aux raquettes de tennis avant de s’investir à fond dans le ping-pong. Devenu entraîneur à Montpellier, le papa, cheveux poivre et sel et allure tranquille, a laissé à d’autres le soin de coacher ses fils. « Je ne m’empêche pas de les guider et de les conseiller, et ils sont à l’écoute », confie-t-il après le match.
Stéphane est le tacticien. Sa femme, Dominique, l’organisatrice. Institutrice en maternelle près de Montpellier (Hérault), la discrète blonde aux cheveux raides a dû prendre un mi-temps pour « accompagner » la carrière fulgurante de ses fils, auparavant supervisée par leur entraîneur Nathanaël Molin. « Tout a changé après la victoire d’Alexis en quarts de finale du tournoi WTT Champions de Macao, en avril 2023, remportée contre le numéro un mondial, le Chinois Fan Zhendong », raconte-t-elle.
Trois mois plus tard, Félix monte en haut du podium des Jeux européens en Pologne, rejoint par son frère à la troisième place. Le souvenir du moment est toujours vivace : « Quand ils ont fait un check juste avant d’entonner La Marseillaise, j’ai été vraiment touchée. » Les médias ont alors les yeux rivés sur les deux petits prodiges du tennis de table.
Des superstars en Chine
Depuis, les sollicitations sont permanentes, et elles proviennent du monde entier. « La Chine compte 170 millions de joueurs de ping-pong, contre 200 000 licenciés en France, rappelle, amusé, Stéphane Lebrun. Félix et Alexis sont devenus des superstars ! » Alors gare à ne pas trop en faire. « On veille tous à les laisser se concentrer sur l’entraînement, leur suivi médical, et aussi le temps de souffler. Ils n’ont que 17 et 20 ans ! »
Si elle se veut protectrice, Dominique Lebrun reconnaît toutefois une grande maturité à ses fils qui, dès l’âge de 12 ans, prenaient le train et l’avion seuls. « On ne pouvait pas toujours les accompagner », se souvient-elle, car on avait aussi nos deux aînées à gérer, Roxane et Margaux. Elles aussi prennent part à la « team ». Roxane, adulte handicapée, opérée six fois à cœur ouvert depuis l’âge de 3 mois, fait du secrétariat pour soulager Dominique. Margaux, pétillante étudiante en licence de communication, prépare l’organisation des championnats de France qui se tiendront à Montpellier fin mars.
Quand les tournois sont proches de leur domicile, comme ce soir-là, tout le monde est réuni. Leur mamie Josée, qui vit au rez-de-chaussée de la maison des Lebrun, à Lansargues, petite ville située entre Lunel et Montpellier, n’aurait voulu manquer la rencontre pour rien au monde. « Je suis très fière de mes petits-fils », lance-t-elle.
Une famille présente mais jamais envahissante. « Nos victoires sont les nôtres mais on les partage avec ceux qu’on aime et en particulier notre famille mais aussi avec nos amis, le public », confie Alexis au Point. « Je ne dirai pas que leur présence est essentielle, sinon il y aurait toujours un manque quand ils ne sont pas là. Je suis content quand ils peuvent venir mais on peut aussi très bien jouer s’ils regardent les matchs derrière leur télé ! » poursuit le jeune garçon.
« Tout peut s’arrêter facilement »
Les deux frères à l’allure toujours juvénile – cheveux blonds et lunettes rectangulaires noires – sont « des gagneurs ». « Pour eux, chaque match est un enjeu », raconte la maman. Et de se remémorer avec amusement les soirs de Chandeleur : « Même quand ils imitaient leur père en jouant avec une poêle à crêpes, ils n’admettaient pas la défaite. »
En janvier, à Goa, en Inde, alors que Roxane est hospitalisée pour de graves problèmes cardiaques, ils n’ont rien lâché, restant concentrés jusqu’au bout. « Comme nous, ils ont appris à gérer l’inquiétude, et ils savent que ce qu’ils vivent est une chance. » Ce que les frères confirment. Félix essaye de « ne pas trop se poser de questions et d’avancer, car tout peut s’arrêter facilement à cause d’une blessure ou d’un problème de santé ». « On sait aussi se projeter vers l’avenir et voir un peu plus loin pour rêver d’une belle carrière dans le ping ! » complète Alexis.
Optimistes, enjoués, ils gardent la tête sur les épaules. Deux jeunes forces tranquilles sur le bord du terrain. Deux forces de frappe et de précision pendant le jeu. « Leurs performances pour leur jeune âge ont éveillé la curiosité », se félicite Alain Lauferon, président de l’Alliance Nîmes-Montpellier.
À LIRE AUSSI JO de Paris 2024 : comment sont choisis les sports olympiques ? Grâce au duo, le tennis de table sort du cadre des initiés pour le rendre abordable. Les demandes de licence ne cessent d’affluer depuis un an. Du jamais-vu depuis Jean-Philippe Gatien, champion du monde en 1993, originaire du Gard. « Et même s’ils sont dans la lumière, leurs coéquipiers ne leur en tiennent pas ombrage », continue Alain Lauferon. Tout en signant eux aussi des autographes, les copains et coéquipiers Esteban Dorr et Grégoire Jean confirment : « Ils tirent tout le monde vers le haut, et font connaître notre sport, c’est génial. »
Félix et Alexis, arrivés en finale des Mondiaux par équipes de tennis de table le dimanche 25 février à Busan, en Corée du Sud – offrant une première médaille d’argent à la France depuis 1997 –n’ont pas encore leur ticket pour les Jeux olympiques de cet été. La réponse viendra mi-juin, mais les chances sont de leur côté. Félix figurerait alors parmi les plus jeunes de l’olympiade. « L’important, ce n’est pas l’âge, remarque-t-il, mais le niveau et je sais que je peux avoir une bonne carte à jouer. C’est à la fois un objectif parce que je ne revivrai plus jamais les JO à Paris, mais aussi une étape parce qu’il y a plein d’objectifs à aller chercher après. » Dominique, elle, a « juste envie de les accompagner dans leur rêve ». Même si elle sait qu’un double masculin sera impossible cet été à Paris.
KABDEL MEDIA