Et diffuser des fake news ? On lit dans les gazettes que certaines agences d’IE ne reculent pas devant ce genre de pratique…
A.G. : Tout à fait. Il y a des officines qui peuvent aussi bien faire de la veille, récupérer de l’information, l’analyser et la protéger, que s’adonner à des pratiques douteuses s’apparentant à de l’espionnage. Il faut donc faire le tri. Je pense qu’il vaut mieux rester dans les clous, soit faire appel aux services de l’État, soit à des entreprises d’IE qui inscrivent leur activité dans la légalité. Comme ça, on est sûrs de ne pas recevoir un boomerang en retour.
Au niveau de l’État, les personnes qui ont en charge l’IE sont des fonctionnaires ?
A.G. : Aujourd’hui, je ne suis plus très sûre du fonctionnement. Mais lorsqu’Alain Juillet puis Claude Revel ont organisé ce service, il s’agissait de former des fonctionnaires de police et de gendarmerie mais aussi les civils qui étaient en position de décideurs dans les entreprises, ainsi que les chercheurs et les professeurs. Nous étions parmi les plus compétents à l’époque. L’État peut aussi faire appel à des agences d’IE validées par ses services, pas à des officines un peu glauques.
Vous prônez un cadre légal mais existe-t-il aussi un cadre moral dans le domaine de l’IE ?
A.G. : C’est-à-dire ?
Par exemple, peut-on manipuler l’opinion pour défendre l’intérêt d’une grande entreprise ?
A.G. : Faire de la politique, faire preuve de leadership pour embarquer les gens sur un projet, ce n’est pas immoral à mes yeux. C’est une pratique managériale très partagée. En revanche, si l’on raconte des mensonges pour manipuler l’opinion, là, en effet, on sort du cadre moral, comme vous dites. Et le risque est grand, à l’heure de l’internet et des réseaux sociaux, de se faire attraper. Attention quand même, la manipulation fait partie des enjeux de l’IE et nous, on forme nos étudiants à en comprendre les mécanismes. Au moins pour la déjouer quand on en est la cible. Cet univers n’est pas celui des Bisounours.
Lors de l’élection présidentielle américaine de 2016, on avait dit que des officines avaient diffusé des informations sujettes à caution pour déstabiliser Hillary Clinton au profit de Donald Trump. C’est de l’IE acceptable ?
A.G. : C’est le jeu. Exemple : si un laboratoire pharmaceutique diffuse un faux brevet pour mettre ses concurrents sur une fausse piste et pouvoir possibles. Certains grands groupes internalisent leur propre responsable IE, voire même disposent de services de veille à temps plein. Et il y a des PME qui s’offrent les compétences d’une agence ponctuellement, pour une mission importante ou une étude. Et ne jamais oublier qu’on peut aussi recourir aux services de l’État qui bénéficient du réseau de nos ambassades, encore important.
Quels sont les pays les plus puissants dans le domaine de l’IE ?
A.G. : Traditionnellement, les États-Unis, la Chine et le Japon. Mais les pays du Golfe sont en train de se structurer. Les pays d’Europe du Nord sont aussi très bons parce qu’ils ont des relais dans l’État très solides qui accompagnent formidablement les entreprises à l’international. Quant à la France, comme je vous le disais, elle s’était remise à niveau dans les années 2000. Mais sous Hollande, quand Claude Revel a stoppé ses activités, on a lâché la barre et depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, on ne parle plus du tout de l’IE ! J’avoue que je ne comprends pas cet angle mort de notre politique industrielle. Nos diplomates ne sont plus formés. Pire encore, pour certains, accompagner une entreprise privée est une tâche infamante ! Pas tous, heureusement…
Et que font nos services de sécurité intérieure et extérieure, DST et DGSE ?
A.G. : Ils interviennent pour les entreprises évoluant dans les secteurs sensibles comme le nucléaire. Je ne suis pas dans le secret des dieux mais je ne pense pas qu’ils œuvrent aux côtés de nos PME. Elles ont pourtant besoin d’un décryptage subtil des signaux faibles pour savoir, lorsqu’elles sont dans un pays d’Afrique ou d’Asie, par exemple, si elles doivent accélérer ou au contraire faire un pas de côté. C’est là-dessus que les services de l’État doivent les éclairer.
Les propos de cet article ont été recueillis par : Yves Derai
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