Tête bien faite, la Camerounaise Elsa Zekeng a su habilement transformer son engagement scientifique en création de valeur entrepreneuriale au service de sa communauté. Portrait d’une « sciencepreneuse » en pleine ascension.
Par Szymon Jagiello – Paru dans l’édition N°63
Pour l’Unesco, le constat est sans appel : « Seulement 30% des chercheurs dans tous les domaines sont des femmes en Afrique subsaharienne, et dans les STIM [Sciences, technologies, ingénierie et mathématiques], elles sont souvent moins bien payées et publient moins de recherches », rappellent les équipes de l’agence onusienne. Un constat partagé par Yacine Djibo, directrice exécutive de Speak Up Africa, pour qui les chercheuses sont très souvent déléguées à des postes subalternes « avec peu de responsabilités et de pouvoir de décision, ainsi que des possibilités limitées d’exercer leur leadership ». Les choses bougent pourtant, lentement mais sûrement, avec un nombre toujours croissant d’étudiantes suivant des cursus STIM. À tel point que dans nombre de pays du continent ayant introduit des programmes d’études basés sur les compétences scientifiques au cours des dernières années (Kenya, Mozambique, Rwanda, Madagascar, Afrique du Sud, Malawi), une majorité des lauréats aux examens nationaux est aujourd’hui constituée de « lauréates ». Titulaire d’un doctorat en maladies infectieuses et santé mondiale de l’université de Liverpool (Royaume-Uni), la Camerounaise Elsa Zekeng fait partie de cette cohorte d’Africaines qui bousculent le statu quo.

En 2015, elle reçoit la Médaille Ebola pour service rendu en Afrique de l’Ouest des mains de Sa Majesté la reine Elizabeth II d’Angleterre.
Premiers pas
Encore étudiante, elle a cofondé en 2014 la Northwest Biotech Initiative (NBI), une structure qui ambitionnait notamment de « doter les scientifiques de compétences et d’outils indispensables à des carrières en dehors du monde universitaire en les aidant, par exemple, à commercialiser leurs recherches », explique la jeune femme. Un projet couronné de succès. En quatre ans, « NBI a réussi à recruter une équipe de 24 personnes, organiser plus de 20 événements, tout en collectant plus de 10 000 livres sterling [12 000 euros] en parrainages », se félicite Elsa Zekeng. Parallèlement, elle s’engage en tant que consultante auprès de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), lors de l’apparition de la fièvre hémorragique Ebola en Afrique de l’Ouest, qui causera – faut-il le rappeler ? – la mort de plus de 11 000 personnes entre 2013 et 2016. Déployée en première ligne, au centre de traitement de la ville guinéenne de Coyah, la jeune femme passe six semaines à tester des patients atteints de cette maladie. Une expérience risquée et un engagement de tous les instants qui lui vaudront de recevoir la Médaille Ebola pour service rendu en Afrique de l’Ouest des mains de Sa Majesté la reine Elizabeth II d’Angleterre, et d’être reconnue en 2016 Jeune leader européenne par les institutions de l’Union européenne, à Bruxelles (Belgique).
Aventure entrepreneuriale
Le déclic entrepreneurial intervient en 2018, lorsqu’elle fait la rencontre de Jamaal Brathwaite, un startupeur britannique originaire de la Barbade plusieurs fois primé et fondateur de Jobseekrs, un site d’offres d’emploi interactif alimenté par l’intelligence artificielle. Concrètement, Jobseekrs associe les candidats aux opportunités d’emploi sur deux facteurs clés qui sont leurs compétences au poste et leur alignement culturel avec les entreprises enregistrées sur sa plateforme. La formule fait mouche et rapidement, Elsa Zekeng – qui parvient à lever pour le compte de son nouvel employeur 200 000 livres sterling (240 000 euros) d’investissements – est propulsée à la tête des opérations. Pour elle, l’approche adoptée par Jobseekrs permet d’atténuer « les biais inconscients, notamment ceux liés au genre, lors de la sélection du recrutement car les candidats potentiels sont présentés à l’employeur de manière anonyme afin d’éviter tout risque et toute forme de parti pris ». Un système ingénieux qui a aidé Elsa Zekeng, en tant que « pitcheuse désignée » de la boîte, à conclure plusieurs partenariats stratégiques avec six universités et remporter 100 000 euros auprès de 360 Lab Accelerator en Autriche. Autant d’expériences qui lui ont appris qu’en matière d’initiatives entrepreneuriales, « trouver les bons partenaires et investisseurs est souvent bien plus important que de dénicher n’importe quel soutien, même financier ».

Solidarity in Tech
Toujours désireuse d’embrasser de nouveaux projets, elle cocrée simultanément ce qu’elle considère comme l’une de ses plus belles réalisations, Solidarity in Tech. L’entreprise, à vocation sociale, a pour mission de favoriser la diversité et l’égalité des chances dans les secteurs STIM, en tenant compte notamment de l’ethnicité et du genre. Un projet qu’Elsa Zekeng a impulsé après qu’un ancien collègue lui a rappelé que les fondateurs de startups « issus des communautés minoritaires [étaient] surencadrés, mais sous-financés ». Aujourd’hui, la jeune patronne, citant des estimations du site spécialisé Business Insider, regrette toujours que « les créatrices d’entreprises d’origine noire et latino [n’aient] reçu que 0,43 % des 166 milliards de dollars de financement de capital-risque octroyés en 2020 ». Or, sans financement, tout espoir de croissance et de mise à l’échelle d’une startup est tout bonnement impossible. Un constat amer que l’entrepreneuse camerounaise rappelle régulièrement dans ses plaidoyers qui ont, entre autres, contribué à sa nomination dans le classement Tech Nation des 50 voix noires les plus inspirantes et influentes dans le monde de la tech britannique, en 2019. Forte de cette reconnaissance, Elsa Zekeng collabore aujourd’hui avec plusieurs organismes qui font notamment appel à son expertise en management. Des engagements multiples qui prouvent, si besoin en était, la popularité et le succès grandissant de la chercheuse devenue « sciencepreneuse ».

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