Professionnelle hyperactive du secteur pétrolier, ancienne consultante aux Nations Unies et à l’Union africaine, Estelle Gbenou, 32 ans, a un parcours quasi sans fausse note. Grande militante de la cause énergétique, elle est portée par l’ambition de contribuer à l’électrification de l’Afrique à 100 %.
Estelle Gbenou a été récemment nominée pour recevoir le « Forbes Best of Africa Excellent Leadership Award », décerné par Foreign Investment Network (FIN), le partenaire africain du prix Forbes Best of Africa, (marchés émergents). La cérémonie de remise de prix aux lauréats est prévue le 18 juillet à Londres. Estelle Gbenou a été nominée pour ce prix, explique l’organisation, pour son leadership approfondi, son courage, sa résilience et ses exploits commerciaux dans l’industrie du pétrole et du gaz.

En effet, c’est pendant qu’elle travaillait comme consultante à la mission de représentation de la Centrafrique aux Nations Unies, à New York, qu’Estelle Gbenou, alors âgée de 23 ans, s’est montrée curieuse sur la question du pétrole, ce qui l’a amenée à s’inscrire à un programme de doctorat à l’université de la Sorbonne, en France, afin d’étudier le pétrole. « Je trouvais très paradoxal que la Centrafrique, un pays aussi riche en ressources, ait une population aussi pauvre. J’ai donc décidé d’étudier le pétrole, une ressource qui a provoqué beaucoup de guerres. Je voulais étudier le lien entre la richesse du sous-sol, l’instabilité politique et la pauvreté de la population », explique cette passionnée du secteur de l’énergie. Une passion dont elle a fait son métier en occupant actuellement le poste de représentante en Afrique de l’Ouest d’Okapi Supply Trading Advisory, un groupe suisse de trading pétrolier, fondé par deux personnalités d’origine africaine, et qui est opérationnel dans toute l’Afrique de l’Ouest dans l’achat et la vente de carburant. En Côte d’Ivoire, Okapi travaille principalement avec la société ivoirienne de raffinage (SIR) tandis qu’en Guinée Conakry, le groupe évolue dans l’amont et l’aval pétrolier, via sa filiale Kamsar. « Nous y avons un réseau de stations-services. Dans le passé, et pendant au moins deux ans, nous avons livré du carburant à toute la Guinée Conakry. Nous étions les principaux grossistes et tout le monde venait acheter du carburant chez nous », explique Estelle Gbenou. Au sein de ce groupe, qu’elle a intégré en 2020 et pour lequel elle a travaillé à Genève pendant un an, avant de déménager à Abidjan, Estelle Gbenou s’’occupe notamment du développement des affaires, de toutes les opérations avec la SIR et des activités commerciales ponctuelles qu’Okapi réalise avec ses clients du Bénin, du Mali, du Burkina Faso, du Niger et d’autres pays d’Afrique de l’Ouest. « Chez Okapi, il n’y a que des seniors. On est au nombre de 5 et chacun est hyper spécialisé dans ce qu’il fait. La relation de travail est horizontal. Kamsar compte à peu près 150 collaborateurs. Donc, je n’ai pas besoin d’avoir une équipe à diriger. C’est comme ça dans les sociétés de trading », explique la professionnelle du secteur pétrolier.
Une carrière débutée à l’ONU
Estelle Gbenou, née en Ukraine, d’un père chirurgien-pédiatre béninois et d’une mère médecin ukrainienne, a préféré emprunter une tout autre voie que la médecine. Elle a débuté très jeune sa carrière professionnelle et tout en haut du panier. Après l’obtention de son baccalauréat au Bénin, à l’âge de 15 ans, pays où elle est arrivée à l’âge de deux ans, Estelle Gbenou a poursuivi ses études universitaires en France. Juriste de formation, elle est titulaire d’un master en droit des affaires de l’université Paris X Ouest Nanterre et d’un master en affaires et développement de l’École des hautes études internationales et politiques, à Paris. À l’âge de 22 ans, elle s’envole pour New York en vue d’effectuer son stage de fin d’études au siège des Nations Unies. Pendant ce stage, elle est recrutée par la Mission diplomatique de la Centrafrique à l’ONU, où elle travaille pendant deux ans comme consultante . « C’était en pleine crise liée à un coup d’État dans le pays. L’ancien président Bozizé avait quitté le pouvoir, remplacé par Michel Djotodia. La nouvelle équipe de diplomates qui était arrivée ne parlait pas anglais ». En tant que bras droit du responsable de la mission, Estelle Gbenou est notamment chargée, avec les autres membres de la Mission, d’expliquer à l’opinion internationale la situation politique de la Centrafrique et la guerre civile qui s’y déroulait. « C’était vraiment très intense. On assistait aux sessions du Conseil de sécurité, on discutait avec les partenaires, on cherchait de l’aide, et on donnait surtout de l’information, car les gens avaient besoin d’informations et la Centrafrique était au cœur de l’actualité pendant cette période. J’ai beaucoup appris là-bas », explique-t-elle.

Premier pas dans le secteur pétrolier
Après avoir fait ses premières armes avec la délégation centrafricaine à l’ONU, Estelle Gbenou rejoint, toujours comme consultante, le bureau de New York de l’Union africaine. C’est pendant cette période qu’elle pose un premier pas dans le secteur pétrolier, en s’inscrivant à un programme de doctorat à la Sorbonne, pour étudier le pétrole. De cette expérience dans la diplomatie, Estelle Gbenou gardera la culture de la construction d’une bonne réputation, le sens du relationnel, un carnet d’adresses bien fourni, l’aptitude à maintenir sa crédibilité, à garder son sérieux et à faire preuve d’une grande compétence dans le travail pour lutter contre une sorte de machisme ambiant…. « Être une femme dans un milieu d’hommes peut être très déstabilisant. Vous devez avoir un instinct de survie beaucoup plus poussé que si vous étiez un homme. À la moindre erreur, vous serez toujours vue comme le maillon faible, même par rapport à la maternité. Si vous ne savez pas gérer le relationnel, vous allez avoir une réputation qui va vous desservir. Quand vous êtes une femme, il y a des pressions supplémentaires, mais tout ça se gère », fait savoir cette mère de deux jumelles en bas âge qui assure ne pas avoir de mal à concilier son métier exigeant avec sa vie familiale et l’éducation de ses enfants.
Trading pétrolier
Lorsqu’ elle quitte l’Union africaine, c’est naturellement qu’Estelle Gbenou rejoint « African Trading Oil » (ATOL) en République démocratique du Congo, où elle devient Trader dans le pétrole, entamant ainsi la deuxième phase de sa jeune carrière . « J’étais basée à Brazzaville, mais nos bureaux étaient à Kinshasa. C’est de là que j’ai été recrutée par Okapi en 2020 », explique-t-elle. Entretemps, en 2015, surfant sur la tendance de l’émergence des panneaux solaires en Afrique, Estelle Gbenou ouvre une brève parenthèse entrepreneuriale au Sénégal, en créant, avec un associé, « PAMES » , une entreprise de photovoltaïque. « On avait électrifié une mosquée au Sénégal. Même si on ne s’est pas bien entendu, entre nous, j’ai beaucoup appris de ce projet. Je connais le côté business et l’aspect social de l’électrification », explique-t-elle.
Droit à l’énergie
Cet aspect social de l’électrification, Estelle Gbenou le met en œuvre via son association « Le droit à l’énergie », qu’elle a fondée en 2019 à Paris, avec l’assurance de la solidité de ses projets et de ses ambitions. Ainsi, la même année, via l’association, elle organise les « Conversations sur l’Énergie en Afrique » (CEA), en marge de l’assemblée générale des Nations Unies, en 2019, en présence de plusieurs personnalités et diplomates. Elle organise également un évènement similaire au sommet de l’Union africaine de Niamey, toujours en 2019. S’inscrivant dans des actions concrètes, l’association a électrifié une école primaire et deux maternités à Tori Bossito, une ville dans le sud du Bénin. En outre, en janvier 2020, Estelle Florence Gbenou a écrit, produit et réalisé le documentaire « Energy 2020 » sur la question de l’électrification en Afrique. Elle est également auteure de deux ouvrages sur le pétrole : « Le guide pratique des hydrocarbures dans le golfe de Guinée », destiné aux professionnels du droit, ainsi qu’ « Introduction à l’énergie », petit ouvrage ludique destiné aux élèves de 13 à 17 ans des écoles publiques d’Afrique francophone pour les sensibiliser sur les questions d’énergie en général et sur les énergies renouvelables en particulier.

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