Les demandeurs d’emploi postulent à un plus grand nombre de postes que les années précédentes. Selon certaines hypothèses, cette évolution est liée aux outils d’IA générative.
Un article d’Emmy Lucas pour Forbes US – Traduit par Lisa Deleforterie
Il y a six mois, Anshita Verma n’envoyait pas plus de cinq candidatures par jour. Aujourd’hui, cette data scientist de 26 ans en envoie 10 à 15 par jour, et elle affirme que c’est grâce aux outils d’intelligence artificielle.
« Au lieu de prendre 30 minutes pour remplir une candidature, il m’en faut peut-être 10 », explique-t-elle. « Les outils d’intelligence artificielle qui remplissent automatiquement les champs requis me font gagner un temps considérable, ce qui me permet de postuler à davantage d’offres d’emploi », ajoute-t-elle.
D’autres utilisent des programmes d’IA générative comme ChatGPT pour créer à la demande des CV et des lettres de motivation qui correspondent aux compétences et aux qualifications requises pour le poste. Certains utilisent des outils d’automatisation de la recherche d’emploi pour postuler à un maximum d’offres. Enfin, des outils d’IA créés afin d’aider les candidats à identifier les emplois correspondant à leurs compétences pourraient également stimuler les taux de candidature.
Demandeurs d’emploi plus agressifs
Selon les experts, ces outils, associés à un marché du travail plus calme et à l’inflation, sont l’une des raisons pour lesquelles les employeurs reçoivent de plus en plus de candidatures. Selon des données récentes de LinkedIn, les travailleurs aux États-Unis et au Royaume-Uni postulent à environ 15 % de postes supplémentaires par rapport à l’année dernière.
Selon Karin Kimbrough, économiste en chef chez LinkedIn, « les demandeurs d’emploi sont plus agressifs » par rapport aux années précédentes, l’IA aidant les gens à soumettre des candidatures à un plus grand nombre d’offres d’emploi. « Aujourd’hui, l’IA occupe une place importante dans le secteur de l’emploi, et ses outils vous donnent confiance car ils vous aident à personnaliser votre candidature ».
Cela peut également inciter les demandeurs d’emploi à postuler de manière plus large. « Ils postulent à la fois à un plus grand nombre d’offres, mais également à des emplois auxquels ils n’auraient pas postulé auparavant », explique Michelle Volberg, fondatrice et PDG du cabinet de recrutement Giledan 360. « L’IA permet également aux candidats du secteur technologique de postuler à des offres d’emploi dans la finance ou la santé s’il y a une opportunité, ou de faire en sorte que leur CV semble plus pertinent qu’il ne l’est pour le poste. »
Recruteurs submergés
Selon les experts, l’augmentation des candidatures, due en partie à l’IA, submerge les recruteurs, obligeant les entreprises à trier une armada de CV. « Les équipes de recrutement font donc à leur tour appel à l’IA afin de trier et d’analyser les CV », explique Josh Bersin, analyste du secteur des ressources humaines, qui a récemment publié une offre d’emploi pour un rédacteur et a reçu 300 réponses dans la première heure, dont « 90 % semblaient avoir été rédigées par ChatGPT ». Selon lui, comme il devient de plus en plus facile de postuler, la charge de travail des recruteurs augmente colossalement.
L’IA pourrait également nuire aux demandeurs d’emploi, car les candidatures assistées par celle-ci placent la barre plus haut pour se faire remarquer et augmentent donc les risques de ne pas se démarquer. « Les gens ne trouvent pas d’emploi aussi rapidement qu’ils le souhaiteraient, ils peuvent donc ressentir le besoin de postuler à plus d’offres, même si celles-ci ne correspondent pas tout à fait à leur profil », explique Mme Kimbrough de chez LinkedIn.
Mme Kimbrough et d’autres affirment que l’IA n’est pas la seule raison de l’augmentation des demandes d’emploi et de la concurrence. Si l’on ajoute à cela le ralentissement des embauches par les entreprises, les licenciements dans de nombreux secteurs et une économie incertaine, le marché de l’emploi devient encore plus compétitif.
Dynamique du marché favorable
Jon Stross, fondateur et PDG de l’entreprise de logiciels de recrutement Greenhouse, affirme que le nombre de candidatures par poste a plus que doublé depuis l’année dernière. « Les chances d’obtenir un emploi sont faibles, alors les gens tentent de jouer avec le système », explique-t-il. Selon lui, l’IA joue un rôle dans l’augmentation des demandes d’emploi, mais le climat économique a également un impact.
James Neave, responsable de la science des données sur la plateforme d’emploi Adzuna, partage cet avis : « Il est probable que l’IA aide les demandeurs d’emploi à accélérer le temps nécessaire pour postuler à une offre, ce qui signifie qu’ils ont le temps et l’énergie nécessaires pour postuler davantage. Mais en fin de compte, l’IA n’est pas la cause sous-jacente de l’augmentation du nombre de candidatures. C’est la dynamique du marché du travail qui en est la cause. »
La croissance de l’emploi en novembre a été légèrement supérieure aux estimations des économistes. Par exemple, les États-Unis ont créé 199 000 emplois, selon le dernier rapport sur l’emploi du Bureau of Labor Statistics. Il s’agit d’une hausse par rapport aux 150 000 emplois créés en octobre, soit le nombre le plus bas depuis janvier 2021. Il y a également eu plus de 600 000 licenciements aux États-Unis cette année, soit une augmentation de 198 % par rapport à l’année dernière. Selon la société de recrutement Challenger, Gray & Christmas, les licenciements survenus au cours des neuf premiers mois de l’année constituent la pire série de suppressions d’emplois depuis 2020 et la deuxième pire série depuis 2009.
Plus de CV qu’il n’en faudrait
De nombreuses entreprises utilisent des systèmes de suivi des candidats pour les aider à sélectionner les candidatures en fonction des compétences requises et à éliminer celles qui ne correspondent pas à certains mots clés. Toutefois, certains affirment que les systèmes de suivi des candidats pourraient ne pas être en mesure de suivre les outils d’intelligence artificielle utilisés par les demandeurs d’emploi pour améliorer leurs chances d’être reconnus, ce qui entraînerait un surcroît de travail pour les recruteurs et les responsables de l’embauche.
Lorsque les travailleurs utilisent des outils d’IA pour inclure dans leur CV des mots-clés tirés d’offres d’emploi, cela peut entraîner « l’envoi de beaucoup plus de CV qu’il n’en faudrait », explique Jessica Mencunas, coach de carrière. « Cela va un peu à l’encontre de l’intention principale : aider les recruteurs à être beaucoup plus efficaces ».
Certaines offres d’emploi sur LinkedIn peuvent même se targuer d’avoir reçu plus de 1 000 candidatures. « À tel point que certaines entreprises ne parviennent même pas à traiter toutes les candidatures, c’est tout simplement impossible », explique Mme Volberg.
Certains travailleurs, comme Ronny Llerena, sont toujours à la recherche d’un emploi après avoir été licenciés au début de l’année. « C’est insensé », déclare le jeune de 25 ans, qui cherche depuis l’été des opportunités de travail à New York. « Il y a des offres d’emploi qui, le jour même de leur publication, ont déjà 500 candidats. » Il affirme que les outils d’IA l’ont aidé à adapter plus rapidement ses lettres de motivation à des postes spécifiques. Bien qu’il ne pense pas que l’IA soit la seule raison pour laquelle le marché de l’emploi est si compétitif, il affirme que l’augmentation du nombre de candidatures l’a poussé à chercher des postes en dehors du secteur de la technologie et à s’appuyer davantage sur le réseau et les recommandations. « L’IA ne contribue certainement pas à atténuer la concurrence », poursuit-il.
KABDEL MEDIA
