Industrie |Pour l’économiste du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii), Thomas Grjebine, le principal facteur pénalisant pour l’industrie française est la concurrence internationale.
Faire machine arrière. Comme tous les pays avancés, la France a connu une forte période de désindustrialisation ces cinquante dernières années. Le processus a, néanmoins, été plus important dans l’Hexagone. Le modèle de croissance s’est progressivement orienté vers la demande interne et la consommation, plus que sur l’exportation de produits fabriqués en France.
À la suite de la crise Covid, Emmanuel Macron changeait son fusil d’épaule et lançait France 2030, un vaste projet, censé relançait le secteur industriel français. L’objectif affiché : faire passer le poids de l’industrie de 10% à 15% du PIB. L’économiste au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii), Thomas Grjebine, revient pour Forbes, sur les premiers résultats de ce dispositif et décrypte les défis auxquels la France est confrontée pour se réindustrialiser.
Bercy assure que la « réindustrialisation » de la France « est amorcée » : qu’en est-il vraiment ?
Après plusieurs décennies de désindustrialisation, la France a réussi à arrêter l’hémorragie. La part du secteur manufacturier dans le PIB est en hausse, le secteur recommence à créer de l’emploi, les destructions nettes d’usines ont été arrêtées. S’il est encore trop tôt pour évoquer une véritable dynamique de réindustrialisation, les bases pour y parvenir sont posées.
Pour autant, la part de la production industrielle dans la production totale de l’économie s’est réduite entre le quatrième trimestre 2019 et le quatrième trimestre 2022, de 18,7% à 17,5% selon l’Insee…
Effectivement, après il ne faut pas oublier que le secteur industriel a subi des chocs très importants. Il y a eu la crise Covid, avec un arrêt des sites de production. Les ruptures d’approvisionnement dans la période post-Covid, ont aussi pénalisé l’industrie. Et enfin, la crise énergétique. L’industrie allemande, qui reste beaucoup plus forte, en est ressortie largement plus fragilisée.
Pendant une période prolongée, la question de l’industrie a été largement ignorée en France, pourquoi le sujet revient-il soudainement sur le devant de la scène ?
C’est un enjeu à la fois de prospérité et de souveraineté. L’industrie permet de créer de la richesse et favorise la croissance, ce qui est nécessaire pour soutenir un système de protection sociale ambitieux. En effet, les gains de productivité y sont beaucoup plus élevés que dans les services. Et pour cause : 75% de la recherche et développement dans les entreprises privées est effectuée dans le secteur.
Autre point, l’industrie permet d’apporter des emplois mieux rémunérés et plus stables à la classe moyenne. On parle beaucoup d’une smicardisation du marché du travail français. C’est en partie lié au fait que l’économie française est basée sur les services.
Enfin, c’est un enjeu de souveraineté. La crise du Covid a remis sur la table les problèmes causés par les interdépendances. Dans un contexte où les tensions géopolitiques sont de plus en plus fortes, il est nécessaire d’être en capacité de produire sur son sol.
La hausse des taux d’intérêts ne risque-t-elle pas de mettre un coup d’arrêt à ce projet de réindustrialisation ?
La hausse des taux d’intérêt a un effet plutôt mauvais pour l’investissement mais cela touche tous les pays européens. Le principal facteur pénalisant pour l’industrie française est la concurrence internationale qui, de fait, est intense. En Chine, les secteurs industriels sont largement subventionnés par la puissance publique. Et ce, à tous les niveaux de la chaîne de production. Et puis, il y a l’industrie états-unienne qui bénéficie de l’Inflation Réduction Act (IRA).
« Baisser les impôts de production ou baisser les impôts sur les entreprises industrielles n’aura pas d’effets spectaculaires. Ce n’est pas un facteur de réindustrialisation. »
Comment la France se situe-t-elle face à cette surenchère de subventions ?
Le principal instrument de réindustrialisation pour l’économie française est le plan France 2030 doté d’une enveloppe de 54 milliards. L’objectif est de financer dix secteurs innovants.
Les montants avancés par les États-Unis ou la Chine sont certes plus importants, mais cela reste, à l’échelle française, très significatif. Si vous ajoutez un effet de levier, c’est-à-dire un effet d’entraînement sur l’investissement privé, (généralement estimé à 1,6 fois le montant dépensé), l’investissement total dépasse 85 milliards d’euros.
Au regard des plans précédents, ce qu’on appelait les programmes d’investissement d’avenir où la puissance publique avançait des montants sans jamais les dépenser, c’est un changement de paradigme important. L’enjeu est désormais de trouver des financements supplémentaires, publics et privés.
Dans la cadre des financements, la France a fait le pari de l’attractivité : le levier de la fiscalité est-il l’unique moyen pour attirer de nouveaux capitaux ?
Baisser les impôts de production ou baisser les impôts sur les entreprises industrielles n’aura pas d’effets spectaculaires. Ce n’est pas un facteur de réindustrialisation. Pour autant, dans un système concurrentiel international, la fiscalité permet de partir sur la même ligne de départ que nos concurrents, notamment l’Allemagne.
Dans le secteur industriel, l’important c’est plutôt de se concentrer sur la baisse des charges. Il ne faut en aucun revenir sur la suppression des exonérations familiales sur les hauts salaires (entre 2,5 et 3,5 SMIC). La compétitivité, ce n’est pas seulement de baisser les coûts, c’est aussi de rendre les métiers de l’industrie plus attractifs et de favoriser le travail qualifié. Si vous augmentez les charges dans le secteur, ça veut dire que vous allez avoir une baisse des salaires relativement importante. Pour redonner plus de marge de manœuvre aux entreprises industrielles, cela passe, à court terme, par de la dette.
Malgré les efforts du gouvernement, la France ne pourra jamais rivaliser avec les pays à bas salaires du vieux continent. Dernièrement, le constructeur chinois de voitures électriques BYD a préféré la Hongrie pour implanter sa première usine en Europe…
Effectivement, le coût du travail est essentiel pour les métiers peu qualifiés. Néanmoins, la France cherche à construire des secteurs à haute valeur ajoutée. Dans ce cadre, le coût du travail est une composante, mais ce n’est pas la plus importante. Quand vous essayez de développer le spatial, les métiers du quantique, Il y a d’autres facteurs qui entrent en jeu : la qualité des infrastructures, le carnet de commandes sur le territoire d’implantation…
Autre facteur capital : dans quelle mesure les entreprises arrivent à créer des chaînes de valeur sur place, une chaîne de production complémentaire. C’est ce qui est fait, par exemple, autour de la voiture électrique dans le nord. Il y a une volonté de construire des filières autour des différentes étapes de production avec l’implantation d’usines batteries….
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