Sean Combs, également connu sous les noms de Puff Daddy, Puffy, Diddy ou encore P. Diddy, était autrefois en bonne voie pour devenir milliardaire. Cependant, les accusations d’agressions sexuelles et les poursuites judiciaires au civil s’accumulent, ses partenaires commerciaux ont fui et ses marques perdent de plus en plus de leur valeur. Et le pire est peut-être encore à venir pour la star déchue de la scène musicale américaine.
Article de Lisette Voytko-Best, avec l’aide de Will Yakowicz, pour Forbes US – traduit par Flora Lucas
Du siège du label Bad Boy Worldwide de P. Diddy à Manhattan, il ne reste que des décombres. Le 1710 Broadway, où se dressait un bâtiment de six étages qui a vu le jour en 1919 en tant que salle d’exposition de la Ford Motor Company, n’est désormais qu’un champ de ruines où seuls deux piteux piliers de béton sont encore debout près de l’endroit où un auvent or et argent proclamait autrefois qu’il s’agissait de l’antre de Diddy. Cependant, aujourd’hui, à l’instar de son ancien château, l’empire du magnat du hip-hop, âgé de 54 ans, s’est effondré à la suite d’une série d’accusations d’agressions sexuelles et d’autres poursuites judiciaires. (Sean Combs n’a été inculpé d’aucun chef d’accusation pour le moment. Lui et ses représentants n’ont pas répondu aux demandes de commentaires concernant les accusations d’abus, qu’il a catégoriquement niées.)
De la gloire…
Les débuts fastueux de P. Diddy semblent désormais bien loin. Au fur et à mesure de son ascension dans le monde de la musique, il a toujours fait preuve d’une grande assurance partout où il allait, que ce soit en tant que stagiaire chez Uptown Records ou fondateur de Bad Boy Worldwide en 1992. À partir de là, P. Diddy devient une icône du hip-hop : il a attisé la célèbre rivalité entre les rappeurs de la côte est et de la côte ouest, produit Ready To Die de The Notorious B.I.G., qui s’est hissé à la troisième place du Billboard à titre posthume, et signé avec Faith Evans, la veuve de Biggie, ainsi qu’avec d’autres stars telles que Mase et, plus tard, Machine Gun Kelly et Janelle Monáe.
Et le hip-hop n’était qu’un début. Au cours des deux dernières décennies, il a développé ses activités dans plusieurs domaines, notamment les lignes de mode et de parfum Sean John, un partenariat très réussi avec le conglomérat britannique Diageo pour la vodka Cîroc et la création de la chaîne de télévision Revolt. Au cours de cette période (avant impôts et frais), il a gagné près d’un milliard de dollars.
En 2019, Forbes a estimé la fortune personnelle de P. Diddy à 740 millions de dollars. Par la suite, lui et son équipe ont affirmé que la star du hip-hop était milliardaire, bien qu’ils n’aient fourni aucun document à l’appui de cette affirmation. Désormais, Forbes estime que sa fortune s’élève à 400 millions de dollars.
Compte tenu de la gravité des poursuites au civil et de l’imminence d’une enquête fédérale portant apparemment sur la traite d’êtres humains, P. Diddy est aujourd’hui confronté à une menace existentielle qui pèse sur sa liberté et sa fortune. (Sean Combs et ses représentants n’ont pas répondu aux demandes de commentaires sur l’estimation de la fortune nette de la star réalisée par Forbes. Le gouvernement américain a confirmé à plusieurs organismes de presse que des mesures avaient été prises dans le cadre de l’enquête.)
… à la chute !
En mars 2024, des agents fédéraux ont perquisitionné les domiciles de P. Diddy à Miami et à Los Angeles dans le cadre de l’enquête sur la traite d’êtres humains, selon plusieurs organismes de presse. Il n’est pas certain que la star soit la cible réelle de cette enquête. En novembre dernier, son ex-petite amie et ancienne artiste au sein du label Bad Boy Worldwide, Cassie Ventura, a porté plainte contre lui pour viol, agression sexuelle et coups portés pendant plus de dix ans. Dans sa plainte, déposée devant un tribunal fédéral, elle accuse P. Diddy de lui avoir fait prendre de la drogue et de l’avoir forcée à avoir des relations sexuelles avec d’autres hommes. (Sean Combs a nié toutes les accusations et a déclaré dans un communiqué que le règlement à l’amiable n’était pas une reconnaissance d’actes répréhensibles.)
Une vidéo de surveillance de 2016 obtenue par CNN le mois dernier montrait P. Diddy frappant violemment Cassie Ventura. Le rappeur a publié une vidéo d’excuses depuis supprimée sur Instagram 48 heures plus tard et a décrit son comportement comme « dégoûtant », sans mentionner Cassie Ventura par son nom. Parallèlement, deux autres femmes se sont manifestées et ont intenté une action en justice en vertu de la loi new-yorkaise sur les survivants adultes, accusant P. Diddy d’abus sexuels, de passages à tabac et d’usage forcé de stupéfiants. Quatre autres plaintes de plaignants individuels accusant la star du hip-hop d’agressions sexuelles, de rapports sexuels forcés et d’usage forcé de drogues ont été déposées à New York entre décembre 2023 et mai 2024, dont une déposée par l’ancien producteur de P. Diddy, Rodney « Lil Rod » Jones. (Sean Combs a nié toutes les accusations dans toutes les actions en justice, et les avocats qui le représentent ont qualifié les actions de « sans fondement » et de « volonté de gagner de l’argent ».)
« Cîroc et DeLeón n’ont pratiquement aucun impact sur Diageo », déclare un analyste connaissant bien les finances du géant des spiritueux. « Ces deux marques ne sont pas cruciales. »
La fin du partenariat avec Diageo
P. Diddy, quant à lui, poursuivait sa propre action en justice contre Diageo. Dans une plainte déposée en mai 2023, il affirme que l’entreprise « s’est montrée réticente à traiter ses partenaires noirs sur un pied d’égalité ». Les marques Cîroc et DeLeón du rappeur auraient été « privées » de ressources en matière de marketing, de production et de distribution par rapport à d’autres marques telles que Don Julio et la tequila Casamigos, cette dernière ayant été cofondée par George Clooney.
En juin 2023, Diageo a mis fin à son partenariat avec P. Diddy, affirmant que « bien qu’il ait gagné près d’un milliard de dollars au cours de nos 15 années de collaboration, Sean Combs n’a contribué qu’à hauteur de 1 000 dollars [pour l’accord DeLeón] et a refusé d’honorer ses engagements ».
En janvier 2024, le dépôt de résultats périodiques concernant Diageo révèle que P. Diddy a reçu 200 millions de dollars pour sa participation dans DeLeón en échange de la fin de son procès et de leur partenariat. « Dans le cadre de cette acquisition, les différends en suspens entre les actionnaires ont été résolus et Diageo est désormais propriétaire à 100 % de la marque DeLeón », a déclaré le fabricant de spiritueux dans un communiqué. (Diageo a refusé de fournir plus d’informations sur la fin de l’accord de partenariat.)
La forte baisse de sa fortune est due en grande partie à la fin du partenariat avec Diageo. Lorsque Forbes a évalué la fortune nette de P. Diddy à 740 millions de dollars en 2019, la plus grande part provenait de Cîroc. L’accord était autrefois considéré comme un succès retentissant dans l’industrie, la star du hip-hop gagnant 66 millions de dollars par an en moyenne de 2007 à 2023. Au sommet de sa popularité et de sa notoriété, des professionnels de l’investissement ont déclaré à Forbes que P. Diddy pourrait vendre le flux de bénéfices de la vodka à une tierce partie sur la base du chiffre d’affaires futur projeté. Selon Forbes, ce type d’accord vaudrait des centaines de millions de dollars.
Cependant, ce ne fut pas le cas. Les ventes de Cîroc ont diminué de près de 24 % en volume entre 2014 et 2022. À la fin du partenariat, cependant, P. Diddy et Cîroc étaient inséparables. « Il a positionné Cîroc partout, l’a rendu célèbre », déclare Joel Henry, un ancien cadre de Diageo présent dans la pièce où l’accord avec P. Diddy a été conclu. « Cîroc est devenu Diddy. Il est devenu la marque. »
Ce qui a mis fin à l’histoire de Diageo semble être davantage une atteinte à sa réputation qu’une réelle menace pour ses résultats, contrairement à l’horrible divorce de 2022 entre la marque Yeezy de Kanye West et Adidas, qui a entraîné une perte nette de 540 millions de dollars pour l’entreprise allemande.
« Cîroc et DeLeón n’ont pratiquement aucun impact sur Diageo », déclare un analyste européen connaissant bien les finances du géant des spiritueux. « Ces deux marques ne sont pas cruciales », ajoute Davide Amorim, analyste français au sein Alphavalue, car Cîroc et DeLeón ne représentent que quelques points de pourcentage dans les volumes de vente mondiaux de Diageo. L’énorme portefeuille de Diageo, après tout, contient ce que Davide Amorim décrit comme des « marques phares » qui constituent l’essentiel de son chiffre d’affaires : la vodka Smirnoff, le scotch Johnnie Walker et les tequilas Casamigos et Don Julio.
Plus aucune participation dans Revolt TV
Après la fin de son partenariat avec Diageo, le dernier actif commercial de P. Diddy était sa participation dans Revolt TV, la chaîne qu’il avait fondée en 2012 pour mettre en valeur les créateurs de la culture hip-hop et de la culture pour les jeunes. Au début du mois de juin 2024, alors que la nouvelle des poursuites pour agressions sexuelles se répandait, P. Diddy a revendu sa participation dans Revolt TV et la société remettra ses actions aux employés, une décision que le PDG Detavio Samuels a décrite comme « visant à générer de la richesse pour les communautés marginalisées qui ont été historiquement laissées de côté », bien que Forbes ait été informé que le réseau avait une longue liste d’acheteurs intéressés.
Un document d’évaluation émanant d’un tiers et consulté par Forbes évalue la société à 405 millions de dollars en 2022. P. Diddy détient un peu plus de 50 % des parts. Cependant, un banquier d’affaires connaissant bien les finances de Revolt TV a déclaré à Forbes que les actions de la star du hip-hop lui donnaient le contrôle des votes, mais pas le contrôle financier, ce qui leur donnait moins de valeur qu’une participation directe au capital de l’entreprise.
Le banquier ajoute que l’évaluation de 405 millions de dollars pour Revolt TV était beaucoup trop élevée à son avis, et que la valeur de l’entreprise serait inférieure à 200 millions de dollars. Revolt TV est apparemment rentable. Au début du mois, Detavio Samuels a affirmé que l’EBITDA (équivalent de l’EBE pour la comptabilité en France, NDLR) avait quadruplé entre 2022 et 2023. (Un représentant de Revolt TV a refusé de communiquer l’évaluation actuelle de l’entreprise.)
Sans Diageo et Revolt TV, Forbes estime que P. Diddy dispose d’environ 200 millions de dollars en liquidités. Sa ligne de vêtements Sean John, dont les ventes annuelles dépassaient autrefois les 400 millions de dollars, a été abandonnée par Macy’s et sa marque de lunettes a été retirée des opticiens, ce qui l’a rendue pratiquement sans valeur.
Que reste-t-il de la fortune de P. Diddy ?
Malgré l’impressionnant portefeuille immobilier de P. Diddy (ses deux maisons de Miami et son complexe de Los Angeles sont évalués à plus de 40 millions de dollars chacun), près de la moitié de sa valeur réelle est liée à des hypothèques. Son catalogue de musique au sein du label Bad Boy Worldwide, dont Forbes a estimé la valeur à 125 millions de dollars, obtiendrait une évaluation beaucoup plus basse aujourd’hui. « Tout ce que [Sean Combs] a fait en tant qu’artiste a probablement perdu beaucoup de valeur, tout comme sa marque », déclare John Branca, l’avocat chargé de la succession de Michael Jackson. Bien que P. Diddy touche moins de royalties après avoir restitué les droits d’édition aux artistes de Bad Boy Worldwide, dont Biggie, cela ne signifie pas que les fans de hip-hop ont cessé de l’écouter. « Le problème n’est pas d’acheter un disque de Biggie », affirme l’avocat Peter Paterno, qui a signé le premier contrat d’enregistrement des rockers britanniques Queen aux États-Unis. « Si c’est un disque du label de P. Diddy, il se fait massacrer. »
Pour compléter ce qui reste de la fortune de P. Diddy, on trouve une précieuse collection d’art (avec des œuvres de Jean-Michel Basquiat, Keith Haring et Kerry James Marshall) ainsi que son jet Gulfstream et sa collection de 20 voitures, dont une Rolls-Royce et une Maybach.
Et les perspectives sont sombres dans un avenir proche pour la star déchue. Les six procès au civil intentés contre lui pour agressions sexuelles vont se poursuivre, de même que l’enquête du gouvernement fédéral. On ignore ce que le gouvernement fédéral pourrait exactement lui reprocher, puisqu’il n’a pas été inculpé ou accusé d’un crime, mais il existe des précédents juridiques, à savoir « les plaintes RICO dans le cadre du trafic sexuel », explique Ann Olivarius, avocate internationale spécialisée dans les abus sexuels, la discrimination fondée sur le genre et les droits humains, citant la loi sur les organisations motivées par le racket et la corruption (RICO) que le gouvernement américain utilise généralement dans ce type d’affaires. Elle ajoute que, si P. Diddy est inculpé et reconnu coupable en vertu de la loi RICO, il risque de se voir infliger d’énormes pénalités financières et une lourde peine de prison. « Il ne s’agit pas d’une affaire mineure. C’est grave. Je pense donc que ce monsieur va vivre des jours désagréables. »
Pour un employé d’une entreprise affiliée à P. Diddy, c’est l’aube d’une ère nettement moins prestigieuse : « Il fut un temps où c’était un plaisir de travailler pour Diddy. Maintenant, ce n’est plus le cas. »
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