Clarisse Agbégnénou, l’ultra combative
Avec six titres de championne du monde, Clarisse Agbégnénou, 31 ans, détient le palmarès le plus impressionnant du judo féminin français. Très attendue aux JO de Paris, la judokate adjudante de gendarmerie, née grande et prématurée, très engagée dans les combats féminins, est sur le tatami comme dans la vie : une battante.
L’objectif d’une médaille d’or aux JO pèse sur vos épaules. Comment vit-on cette pression quand on est une athlète reconnue ?
CLARISSE AGBÉGNÉNOU : Bien sûr, j’ai de la pression, mais parallèlement, je reçois beaucoup de messages de parents, et même d’enfants qui me disent à quel point j’incarne un modèle de réussite pour eux. Cela fait extrêmement plaisir et, surtout, cela donne du sens à ce que je fais, puisque rien ne me rend plus heureuse que pouvoir aider des enfants à trouver leur voie, à se projeter dans la réussite par le sport. C’est très gratifiant.
Vous êtes un modèle de résilience également, quand on sait que vous êtes née prématurée.
C.A. : C’est vrai que mon histoire personnelle a démarré de manière particulière. Je suis née prématurée : j’étais dans le coma avant de revenir à la vie. Je me suis battue dès mon premier souffle et cela a forgé cette envie de continuer ce combat pour toutes les choses qui me tiennent à cœur. C’est plus fort que moi : je me bats continuellement en me fixant des objectifs.
Le mot « invincible » revient souvent dans les médias pour vous décrire. Comment travaillez- vous ?
C.A. : Au fur et à mesure de ma carrière, j’ai appris à me connaître parfaitement. Je suis très à l’écoute de moi-même pour essayer de progresser, en particulier dans les moments difficiles. Je me pose toujours la question de savoir ce qu’il m’a manqué quand je perds un combat. Par exemple, contre ma grande adversaire Tina Trstenjak. Je me suis demandé pourquoi je n’arrivais pas à la battre alors que je savais que je pouvais y arriver. Elle avait cette capacité à me faire systématiquement perdre mon sang-froid. Pour rester zen jusqu’à la fin des combats, j’ai décidé de me mettre au yoga. J’ai appris à me contrôler, à méditer. Ce n’était pas trop dans ma nature d’être calme (Rires).
Pourquoi le mental est-il aussi important dans la compétition ?
C.A. : La part du mental fait 70 % de la réussite : si on n’est pas bien, on n’arrive pas à s’entraîner correctement. Sans oublier la compétition qui est une source de stress. Pour me préparer mentalement, j’ai travaillé avec le yoga, mais chacun a ses besoins et doit trouver sa méthode. Avant d’arriver au yoga, j’avais testé la psychologie, le coaching mental, mais sans succès. Je pratique aussi « la mobilité » pour travailler mon endurance musculaire et la longévité. Avec tout ce que l’on doit faire au quotidien, c’est indispensable pour conserver un corps solide. Il faut également faire des activités sportives très différentes pour s’entraîner, en évitant de se blesser. Et bien sûr avoir une hygiène de vie impeccable.
Vous êtes très engagée sur la question de la maternité dans le sport de haut niveau. Est-ce encore un frein à la réussite ?
C.A. : Je ne dirais pas que c’est un frein, bien au contraire. On se sent forte. En revanche, cela repose beaucoup sur son entourage, tant psychologiquement que financièrement, avec des sponsors qui vous accompagnent. Qu’il s’agisse d’un mode de garde ou de permettre d’avoir son enfant près de nous lors des entraînements, il faut une aide financière qui couvre tout.
Les JO se félicitent d’avoir 50 % de femmes parmi les athlètes, mais encore faut-il la même égalité avec les sponsors ?
C.A. : Pour évoquer le cas de Clarisse Crémer qui a été abandonnée par certains de ses sponsors à cause de sa maternité, il y a parfois une incompréhension de la part de certaines marques qui ne voient pas que vous arriverez à votre meilleur niveau en étant soutenue. On change de carrière en devenant sportive et maman. J’ai aujourd’hui un corps totalement différent, mais mentalement, je ne lâcherai rien. L’égalité, c’est aussi se poser la question, pour les femmes qui font les Jeux, de savoir dans quelles conditions ? Qu’elles puissent s’exprimer davantage sur leurs besoins. C’est vrai dans le sport, mais aussi dans la société avec les entreprises. Prenez un exemple : on pourrait avoir des salles spéciales pour que les mamans puissent tirer leur lait.
Vous avez d’ailleurs demandé à Emmanuel Macron de pouvoir avoir votre petite fille avec vous au village des athlètes des JO.
C.A. : C’est vrai que depuis la naissance de ma fille il y a deux ans, j’ai repris la compétition très rapidement, mais sans me séparer d’elle puisqu’elle me suit partout. C’est en cours d’organisation. C’est une question d’équilibre pour moi. Nous devrions toutes avoir cette possibilité si on le souhaite.
Vous exercez un métier parallèlement dans la gendarmerie nationale, comment arrivez-vous à aménager votre temps ?
C.A. : En France, beaucoup de sportifs, en particulier dans les disciplines comme la lutte, la boxe ou l’escrime, doivent continuer à exercer un métier tout en essayant de trouver du temps pour s’entraîner. J’ai l’immense chance d’avoir un contrat avec la gendarmerie dans le bataillon de Joinville, une CIP [convention d’immersion professionnelle], qui me permet d’être détachée pour faire mon sport. C’est idéal. Mais en France, nous avons encore du retard par rapport à l’éducation au sport. Les horaires scolaires ne permettent pas comme dans les pays anglo-saxons de pratiquer un sport assidûment l’après-midi. On devrait mieux aménager le temps des enfants pour pratiquer un sport en profondeur. J’aurais aimé avoir cette chance. On me dit souvent que, finalement, cela ne m’a pas empêché de réussir, mais j’aurais pu y arriver autrement sans sacrifier mon enfance.
Pourquoi cela a-t-il été si dur ?
C.A. : J’étais mauvaise à l’école et on me le faisait sentir. C’est comme cela que j’ai commencé le judo. En réalité, j’avais besoin de bouger et je ne pouvais rester assise jusqu’à 18 heures : je ne me sentais pas à ma place. Je pense qu’il faut être davantage à l’écoute de chaque individu.
Vous êtes ambassadrice du sport féminin pour le Coq sportif qui est votre partenaire et équipementier. En quoi cela consiste-t-il ?
C.A. : Pour les JO, cela a consisté à travailler ensemble pour concevoir des vêtements plus inclusifs. Chez les sportifs, il y a des gabarits très différents, et il faut pouvoir habiller toute une délégation. Ce n’était pas évident, mais ils ont réussi ce pari. Sans oublier qu’une grande majorité des équipements ont été fabriqués en France dans l’usine de Romilly. C’est important de le préciser, car c’est aussi cela les JO : montrer le savoir-faire français.
Quelle petite phrase trottera dans votre tête pendant les JO ?
C.A. : « Fais toi plaisir. » Parce que c’est un moteur pour aller loin en compétition. Je suis contente de me dire que je travaille pour pouvoir gagner. Je me fais plaisir en tant que sportive, en tant que maman, en tant que passionnée.
À lire également : Paris 2024, trois spots pour s’emparer des Jeux Olympiques
KABDEL MEDIA