Entre la multiplication des affaires de violences sexuelles, l’explosion des signalements dénonçant des faits de maltraitance et de harcèlement moral, et la publication récente d’un rapport parlementaire au vitriol sur les défaillances au sein des fédérations, le mouvement sportif traverse une époque tourmentée. Dans ce contexte, et à quelques mois des JO de Paris, nous avons voulu donner la parole à l’un de ceux qui sont sur le terrain, pour comprendre ce que signifie être entraîneur aujourd’hui.
Ancien coach de la meilleure gymnaste française Mélanie de Jesus dos Santos, Éric Hagard se livre avec sincérité et clairvoyance.
Le Point : Comment vivez-vous cette période si particulière que traverse le sport de haut niveau ?
Éric Hagard : J’ai peut-être un peu d’avance, liée à mon parcours personnel : j’ai en effet eu la chance, au début des années 2000, d’entraîner aux États-Unis, où la relation coach/athlète est complètement différente. Où l’on est observé, scruté. Où tout peut être interprété, tout peut être sujet à polémique. Les salles restent ouvertes et les parents assistent aux séances, comptent le nombre de passages de leurs enfants… Cela peut être surprenant, mais ça m’a permis de revoir ma manière d’entraîner. Il faut rester dans une justesse tout en respectant les règles du haut niveau.
Dans le contexte actuel, nous devons être encore plus vigilants par rapport à ce que l’on dit, à ce que l’on fait, comment le message est perçu. Pour beaucoup, c’est quelque chose de nouveau, mais ça fonctionne comme ça aujourd’hui. La société a évolué, il faut s’adapter à la nouvelle donne. Et ceux qui ne s’adaptent pas, qui continuent à faire comme avant, sont à côté de la plaque.
Concrètement, qu’est-ce qui a changé ?
Aujourd’hui, l’athlète est au même niveau que l’entraîneur, c’est ce qui est fondamentalement différent. Avant, c’était une relation hyper hiérarchique : le coach avait toujours raison et les gymnastes devaient être au garde-à-vous. Désormais, la parole est donnée aux sportifs et l’entraîneur doit être à l’écoute. Pour moi, le point de bascule est là. C’est cette harmonie, cette symbiose entre coach et athlète qui fait toute la différence. Et forcément, quand on se met au niveau des athlètes, il faut se remettre en question. Mais on se rend compte que ça marche.
Que faisiez-vous que vous ne faites plus aujourd’hui ?
Nos gymnastes ne passent plus sur la balance, c’est fini depuis longtemps. Ça ne sert à rien ! Terminées également les répétitions à outrance. Nous sommes convaincus que le geste technique peut être abordé d’une autre manière, avec un peu plus de finesse, dans la qualité. Pour certains, quelques passages suffisent pour maîtriser le mouvement. Il faut s’adapter au public en face de soi mais, pour ça, il faut connaître les sportifs, chercher à les comprendre, se mettre à leur niveau.
Lors des Championnats du monde, nous avons mis en place avec des personnes extérieures au monde fédéral un travail pour que les filles puissent parler librement aux entraîneurs, et c’est ce qui a fait la différence.
D’aucuns diront qu’il n’y a pas de performance sans exigence, pas de haut niveau sans intransigeance…
Attention, l’exigence subsiste car si on franchit la ligne rouge, c’est l’athlète qui en subit les conséquences. Les règles du haut niveau seront toujours là, ça ne marche pas en étant trop laxiste, cool dans l’excès. C’est donc un équilibre à trouver. D’ailleurs, si les sportifs ont désormais la parole, certains en abusent aussi ! Il ne faut pas tomber dans le panneau au risque de remettre en question complètement notre métier. Il ne faut pas que la tendance soit inversée. Mais on peut y arriver en faisant différemment. Quand on fait preuve d’humilité, quand on se remet en question, on peut effectivement accepter que l’athlète puisse s’exprimer au même titre que l’entraîneur. C’est cet équilibre qui est important à trouver sans que ça dérape. Il faut avoir la confiance et le respect des athlètes, et que l’estime de soi-même soit égale des deux côtés. Pour moi, l’humilité est la qualité première d’un très grand entraîneur.
Cette parole des athlètes qui se libère est donc une très bonne chose selon vous pour le sport de haut niveau ?
Évidemment. Mais là encore, il faut faire la part des choses. Ce qui me dérange, c’est quand certains jettent en pâture des personnes sans vraiment savoir, par méconnaissance ou par vengeance. Je ne défends pas ceux qui ont été mis en cause, mais pour analyser une situation, pour comprendre ce qui se passe, il faut être au cœur de l’action.
En octobre dernier, l’équipe de France féminine de gymnastique a décroché une médaille de bronze historique lors des Championnats du monde en renvoyant l’image d’un groupe très épanoui. C’est plutôt rare en gymnastique…
Cela faisait quelque temps déjà que nous tournions autour de cette médaille, mais cette fois, nous ne nous sommes pas mis une pression démesurée, contrairement aux années précédentes. Nous avons également mis en place avec des personnes extérieures au monde fédéral un travail sur le plan psychologique pour que les filles puissent parler librement aux entraîneurs, et c’est ce qui a fait la différence. Il y a eu un climat de confiance, une solidarité qui s’est installée dans la relation avec les gymnastes. Avec le dialogue, avec une communication franche et sincère, il y a toujours des solutions face aux problèmes qui peuvent émerger.
KABDEL MEDIA